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Renoir: "Palais des Doges" (1881). From here. |
The visits that Bergotte paid us were a few years too late for me now,
because I didn’t like him as much any more—which doesn’t contradict the fact
that his reputation had grown. An oeuvre is rarely completely victorious and
comprehended without another writer’s work, perhaps still obscure, beginning to
replace the cult that has almost finished coming to the fore with a new one (at
least among a few more hard-to-please minds). In the books of Bergotte that I
re-read most often, his sentences were as clear before my eyes as my own ideas,
the furniture in my room, and the cars in the street. All things were
comfortably obvious—even if not exactly as you had always seen them, at least
as you were used to seeing them at the present time. But a new writer had
started publishing works where the relationships between things were so
different from those that bound things together for me that I could barely
understand anything he wrote. For example, he said, “The watering hoses admired
the lovely upkeep of the highways” (and that was easy; I slid down the length
of those highways) “which left every five minutes from Briand and from
Claudel.” I didn’t understand any more, since I’d expected the name of a city,
but instead it gave me the name of a person. I didn’t just think that the
sentence was poorly made; I thought that I wasn’t strong and quick enough to go
all the way to its end. I picked up my spirits and clambered on hands and feet
to get to a place where I could see the new relations between things. Each time
I got a little closer to the midpoint of the sentence, I fell back down, like
the slowest soldier in a regiment during the “portico” exercise. I admired the
new writer no less than the clumsy kid who gets a zero in gym class admires a
more dexterous child. From then on, I admired Bergotte less; his limpidity now
seemed to come from inadequacy. There had once been a time when people
recognized things when Fromentin painted them, but not when Renoir did.
Today, people of taste tell us that Renoir is a great painter of the nineteenth century.* But in saying so, they forget Time, and that it took a lot of it—well into the twentieth century—for Renoir to be hailed as a great artist. To successfully be recognized as such, the original painter or artist must set forth like opticians. The treatment of their painting, their prose, isn’t always pleasant. When finished, the practitioner tells us: “Now look.” And behold—the world (which was not created just once, but as often as a truly original artist appears) looks entirely different to us from the old one, but perfectly clear. Women pass in the street, different from those of the past, since they are Renoirs—those same Renoirs in which we long ago refused to see any women at all. The cars are also Renoirs, and the water, and the sky. We feel like we are walking in a forest like the one which on the first day seemed to us like everything except a forest—like a tapestry with a number of nuances that nevertheless lacks just those nuances that a forest should have. That is the universe, new and perishable, which has just been created. It will last until the next geological catastrophe unleashed by a new painter or writer who is truly original.
—Proust, The Guermantes Way, part 2, chapter 1
* Can anyone explain to me why the French text (below, from the 1988 Gallimard text) says "XVIIIe siècle"? Is Proust talking about a different Renoir from the famous Impressionist? If so, I couldn't find mention of such a Renoir anywhere... Especially confusing since Fromentin was also a 19th-century painter, no?
Les visites qu’il nous faisait maintenant venaient pour moi quelques
années trop tard, car je ne l’admirais plus autant. Ce qui n’est pas en
contradiction avec ce grandissement de sa renommée. Une oeuvre est rarement
tout à fait comprise et victorieuse, sans que celle d’un autre écrivain,
obscure encore, n’ait commencé, auprès de quelques esprits plus difficiles, de
substituer un nouveau culte à celui qui a presque fini de s’imposer. Dans les
livres de Bergotte que je relisais souvent, ses phrases étaient aussi claires
devant mes yeux que mes propres idées, les meubles dans ma chambre et les
voitures dans la rue. Toutes choses s’y voyaient aisément, sinon telles qu’on
les avait toujours vues, du moins telles qu’on avait l’habitude de les voir
maintenant. Or un nouvel écrivain avait commencé à publier des oeuvres où les
rapports entre les choses étaient si différents de ceux qui les liaient pour
moi que je ne comprenais presque rien de ce qu’il écrivait. Il disait par
exemple : « Les tuyaux d’arrosage admiraient le bel entretien des routes » (et
cela c’était facile, je glissais le long de ces routes) « qui partaient toutes
les cinq minutes de Briand et de Claudel ».
Alors je ne comprenais plus parce que j’avais attendu un nom de ville et
qu’il m’était donné un nom de personne. Seulement je sentais que ce n’était pas
la phrase qui était mal faite, mais moi pas assez fort et agile pour aller
jusqu’au bout. Je reprenais mon élan, m’aidais des pieds et des mains pour
arriver à l’endroit d’où je verrais les rapports nouveaux entre les choses.
Chaque fois, parvenu à peu près à la moitié de la phrase, je retombais, comme
plus tard au régiment dans l’exercice appelé portique. Je n’en avais pas moins
pour le nouvel écrivain l’admiration d’un enfant gauche et à qui on donne zéro
pour gymnastique, devant un autre enfant plus adroit. Dès lors j’admirai moins
Bergotte dont la limpidité me parut de l’insuffisance. Il y eut un temps où on
reconnaissait bien les choses quand c’était Fromentin qui les peignait et où on
ne les reconnassait plus quand c’était Renoir.
Les gens de goût nous disent aujourd’hui que Renoir est un grand peintre
du XVIIIe siècle. Mais en disant cela ils oublient le Temps et qu’il en a fallu
beaucoup, même en plein XIXe, pour que Renoir fût salué grand artiste. Pour
réussir à être ainsi reconnus, le paintre original, l’artiste original
procèdent à la façon des oculistes. Le traitement par leure painture, par leur
prose, n’est pas toujours agréable. Quand il est terminé, le practicien nous
dit : « Maintenant regardez. » Et voici que le monde (qui n’a pas été créé une
fois, mais aussi souvent qu’un atiste original est survenu) nous apparaît
entièrement différent de l’ancient, mais parfaitement clair. Des femmes passent
dans la rue, différentes de celles d’autrefois, puisque ce sont des Renoir, ces
Renoir où nous nous refusions jadis à voir des femmes. Les voitures aussi sont
des Renoir, et l’eau, et le ciel : nous avons envie de nous promener dans la
forêt pareille à celle qui le premier jour nous semblait tout excepté une
forêt, et par exemple une tapisserie aux nuances nombreuses mais où manquaient
justement les nuances propres aux forêts. Tel est l’univers nouveau et
périssable qui vient d’être créé. Il durera jusqu’à la prochaine catastrophe
géologique que déchaîneront un nouveau peintre ou un nouvel écrivain originaux.
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